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Municipales 2020 : « Le prix du mètre carré est un puissant facteur de séparatisme social »

A l’occasion des élections municipales, Jérôme Fourquet, le directeur du département opinion et stratégies d’entreprise de l’IFOP, la géographe Béatrice Giblin et le président de l’intercommunalité Plaine Commune, Patrick Braouezec (Front de gauche), débattent sur la question du vivre-ensemble dans la ville du XXIe siècle.
Jérôme Fourquet : A l’approche des élections municipales des 15 et 22 mars, quatre grands sujets de préoccupation dominent. Le premier concerne la sécurité et la propreté. Des villes jusque-là épargnées vivent une montée de la délinquance, notamment liée aux trafics. C’est le cas de Nantes ou de Besançon.
Le deuxième sujet est l’écologie : partout s’exprime une demande de chlorophylle, assortie d’un refus de la densification. Le troisième sujet porte sur le prix de l’immobilier, qui est devenu un problème majeur dans les grandes métropoles à cause de sa flambée, mais qui peut poser un problème inverse à d’autres communes en raison de sa dévalorisation.
La dernière problématique, variable selon les territoires, est l’animation commerciale des centres-villes. De nombreuses activités se sont déplacées en périphérie, autour de la grande distribution. Beaucoup de maires se demandent s’il ne faut pas inverser la tendance. Le programme Action cœur de ville vise à répondre à cette problématique dans 220 communes.
Béatrice Giblin : Chaque élection municipale est l’occasion de relancer l’attachement à la commune : nos concitoyens ne se sentiraient bien que dans ce territoire qui incarne la proximité, alors qu’en réalité la vie urbaine dépasse largement le cadre communal. C’est très lié à notre histoire : sous la Révolution française, nos paroisses sont devenues des communes et les communes ont eu pour tâche essentielle de tenir l’état civil. C’est la raison pour laquelle l’intercommunalité, initiée dans les années 1970, a eu autant de mal à prendre en France, alors qu’elle n’a pas posé de problème à des pays comme la Belgique ou en Allemagne.
Patrick Braouezec : On ne peut plus vivre la ville dans son périmètre étroit, sinon ça devient un bocal. L’intercommunalité est fondamentale, mais elle ne peut réussir que si elle est voulue. Plaine Commune [la plus ancienne communauté d’agglomération de la banlieue parisienne] a commencé lorsque trois maires communistes, Jack Ralite à Aubervilliers, Marcelin Berthelot à Saint-Denis et Paulette Fost à Saint-Ouen, ont eu le courage politique de dire que l’ère industrielle était derrière nous et qu’il fallait penser ces territoires autrement. Ils ont alors réuni architectes et urbanistes et l’aventure a commencé.
J. F. : Le prix du mètre carré est devenu un puissant facteur de séparatisme social, car il repousse loin du centre ceux qui n’ont pas les moyens de se loger, mais d’autres facteurs sont à l’œuvre. La société est devenue multiculturelle et on constate dans certaines villes des phénomènes de ghettos ethnoculturels. Quand on peut, on va s’installer avec des gens qui nous ressemblent socialement ou ethniquement. C’est la logique de l’évitement.
B. G. : Dans ce contexte, l’enjeu est de surmonter l’hostilité à la densification. Revaloriser la ville et la densité, c’est revaloriser le vivre avec les autres, à l’opposé d’un courant très important d’individualisme et de repli sur soi. Je ne sous-estime pas la difficulté, mais, lorsque le maire a une vision, les concitoyens le sentent et ils sont fiers. Ils peuvent l’accompagner.
P. B. : Si, pour construire la ville de demain, on continue de donner la main aux promoteurs, le séparatisme social et spatial va s’accroître. L’élu est le garant de l’intérêt public. Il doit le rester dans le cadre d’un partenariat public-privé en veillant constamment à croiser son expertise avec celles de l’homme de l’art (architecte, urbaniste, paysagiste, ingénieur des Ponts), de la population et de ceux qui auront à gérer les équipements.
B. G. : Je suis agacée par la campagne électorale à Paris. Nous avons la chance d’avoir une ville monde et on nous la présente comme un village dont seuls les Parisiens auraient à se soucier. La capitale, ce n’est pas l’entre-soi, c’est l’image de la France à l’échelle mondiale !
P. B. : Telle qu’elle est conçue, la Métropole du Grand Paris est un leurre. On ne peut créer une intercommunalité de proximité qui compte 7 millions d’habitants et dans laquelle une commune, Paris, pèse à elle seule 2,5 millions d’habitants. En revanche, nous avons besoin d’une métropole stratégique capable de développer une vision sur le climat, l’environnement, le logement, les transports. Est-ce à l’échelon de ce périmètre ou à l’échelon régional ? C’est une autre question. Mais il est certain que cette métropole ne peut être opérationnelle. Il faut laisser au bloc communal – intercommunalité et communes – le soin de l’être.
Grégoire Allix et Françoise Fressoz
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